La réforme du droit des contrats : quel impact sur le droit des assurances ?

Au 1er octobre 2016 est entré en vigueur la réforme des contrats qui fait suite à une refonte globale du titre III et du livre III du Code civil, consacrée aux sources d'obligations dans tout contrat ou convention en général. Quel impact aura cette réforme sur le contrat d'assurance ?

Réforme du droit des contrats 2016

En principe, c'est le Code civil qui pose les règles générales des obligations auxquelles tous les contrats sont soumis. Cette règle reste valable, y compris pour le contrat d'assurance faisant l'objet de dispositions spéciales, notamment via le Code des assurances qui lui est spécifiquement dédié.

L'article 1105 alinéa 3 du Code civil dispose que « les règles générales s'appliquent sous réserve de ces règles particulières ». On peut constater que cette précision est une véritable nouveauté sur ce point tant pour la jurisprudence que la doctrine, se référant exclusivement à la règle Specialia generalibus derogant (les lois spéciales dérogent aux lois qui ont une portée générale). De fait, le contrat d'assurance restera soumis au droit commun des obligations du Code civil, à partir du moment où les règles spéciales ne sont pas incompatibles.


On notera aussi que l'ancien article 1964 du Code civil, abrogé par la réforme des contrats, citait le contrat d'assurance en exemple d'un contrat aléatoire. La définition d'un contrat aléatoire demeure inchangée par le nouvel article 1108 alinéa 2 du Code civil, mais ne mentionne plus d'exemples pour ce type de contrat. Malgré cette suppression, il n'en demeure pas moins qu'un aléa reste une condition de validité d'un contrat d'assurance. De plus, la Cour de cassation, de manière constante, juge par nature le contrat d'assurance comme un contrat aléatoire.

Nous allons étudier successivement les évolutions qui vont de facto impacter les conventions dans le milieu de l'assurance :

L'obligation pré-contractuelle d'information

Cette obligation pré-contractuelle d'information devient d'ordre public, comme on peut le retrouver au nouvel article 1112-1 du Code civil. En vertu des dispositions de cet article, toute personne qui dispose d'une information « dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre » sera tenue de le signaler à l'autre partie. En cas de manquement à cette obligation, la mise en jeu de la responsabilité de son auteur peut être engagée et peut entraîner l'annulation du contrat.

Ce devoir d'information au stade de l'avant-contrat existe déjà en vertu de diverses dispositions du Code des assurances :

  • Article L112-2 du Code des assurances, une obligation que l'on retrouve dans la remise d'une fiche d'information,
  • Article L132-5-1 du Code des assurances, à propos de l'assurance vie,
  • Article L520-1 du Code des assurances relatif aux intermédiaires d'assurances.


A noter, cette obligation d'information reste exclue pour les types d'assurances « grands risques » (article L111-6 du Code des assurances) et les assurances temporaires. On peut estimer que suite à ce nouvel article 1112-1 du Code civil, cela va venir renforcer cette obligation à l'encontre de l'ensemble des contrats d'assurance.

Obligation d'information à la charge de l'assureur

On peut estimer que l'assuré dispose d'une sanction plus efficace face à la « mauvaise foi » de son assureur, lui permettant, si cela présente un intérêt pour lui, d'annuler le contrat d'assurance quelle que soit la faute commise par son assureur.

Obligation d'information à la charge de l'assuré

Dans le même temps, l'assureur dispose déjà en vertu de l'article L113-8 du Code des assurances, la possibilité d'entraîner la nullité du contrat suite à une fausse déclaration de la part de l'assuré. Cela ne va rien changer sur cette possibilité offerte à l'assureur.

La validité d'un contrat

Les notions classiques « d'objet » et de « cause » dans la formation d'un contrat ont disparu au profit d'un « contenu licite et certain ». En effet, le nouvel article 1128 du Code civil reprend les conditions nécessaires à la validité d'un contrat qui sont : le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.


En matière de contentieux en assurance, les tribunaux avaient recours à la notion de cause pour sanctionner les contrats présentant un défaut d'aléa et les contrats couvrant une activité illicite, et même pour supprimer une clause réputée non écrite.

De fait, le juge devra se fonder sur de nouveaux outils juridiques pour sanctionner un contrat :

  • Article 1162 du Code civil, le contrat ne peut déroger à l'ordre public,
  • Article 1169 du Code civil, le contrat à titre onéreux sera nul si la contrepartie est « illusoire ou dérisoire ».,
  • Article 1170 du Code civil, toute clause qui prive de son obligation essentielle le débiteur est réputée non écrite.
Il est évident que cette notion d'aléa dans un contrat d'assurance n'est pas à rapprocher des articles 1169/1670 du Code civil, mais plus de l'article 1108 du Code civil avec l'existence « d'un événement incertain » auquel on peut l'assimiler. L'aléa reste une condition nécessaire dans tout contrat d'assurance.

Les clauses abusives

La réforme des contrats s'est également attaquée à la question des clauses abusives. Elle se base sur un régime similaire à celui que l'on retrouve dans le Code de la consommation qui sanctionne les clauses dites abusives. Des clauses abusives sont des clauses qui créent « un déséquilibre significatif » entre les droits des parties au contrat (article 1171 du Code civil).

On vise ici le contrat d'adhésion qui, selon les dispositions de l'article 1110 du Code civil, est un contrat « dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». On peut estimer que le contrat d'assurance n'est pas un contrat généralement négocié, sachant que les conditions générales de ventes (CGV) sont imposées au souscripteur.


Le Code des assurances contient déjà certaines dispositions pour sanctionner la présence de clauses abusives dans le contrat d'assurance. Mais la Cour de cassation estime qu'il est possible de s'appuyer sur le régime prévu par le Code de la consommation présent dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs. On peut penser à la clause de déchéance de garantie ou à la clause de résiliation après sinistre, qui ont fait l'objet de vives critiques.

A noter, seul le Code la consommation définit une liste de clauses qui sont présumées abusives (articles R.132-1 et R.132-2 du Code de la consommation). De plus, un professionnel n'ayant pas la qualité de consommateur ne peut se voir appliquer le régime du code de la consommation; il pourra alors invoquer le régime des clauses abusives du Code civil.

De fait, l'ordonnance du 10 février 2016 (réforme des contrats) va permettre de faire tomber le contrat d'assurance sous le régime commun de la sanction des clauses abusives, quelle que soit la qualité du preneur. On peut estimer que les juges du fond auront une interprétation uniforme de la notion de « déséquilibre significatif » .

La violence par abus de dépendance

Le nouvel article 1143 du Code civil dispose qu'il y a violence « lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant […] tire un avantage manifestement excessif ». c'est un nouveau cas de violence trouvant son origine dans l'exploitation abusive de l'état de dépendance d'une des parties.


L'article L113-8 du Code des assurances évoque déjà ce cas de violence comme « cause ordinaire de nullité », incluant de facto la violence par abus de dépendance. Cette situation est quelque peu paradoxale dans le milieu de l'assurance, étant donné la multiplication des assurances obligatoires dans divers domaines, et la liberté de souscrire ou non à un contrat d'assurance qui se veut être la norme. Dans les faits, l'assuré dispose bien souvent de très peu de liberté pour négocier les termes des garantie souscrites (ex : assurance auto, habitation locataire).

Évidemment cette situation d'abus de dépendance peut être évoquée devant le juge, si l'assuré est en mesure d'apporter la preuve d'un avantage « manifestement excessif ». L'appréciation des faits relève du pouvoir souverain des juges du fond.

La question de l'imprévision

La théorie de l'imprévision est une vieille théorie datant d'un ancien arrêt du Conseil d'Etat du 30 mars 1916 « Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux » : le cocontractant devait poursuivre le contrat même si un événement imprévisible et temporaire rendait difficile son exécution.

Ce mécanisme a enfin été introduit dans le nouvel article 1195 du Code civil « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ». Cela permet ainsi à l'assuré de renégocier son contrat ou bien de demander auprès du juge d'y mettre fin.


En matière d'assurance, cette nouvelle disposition aura un impact non négligeable sur le risque assuré dans le marché de la construction et de la rénovation. Par exemple, on peut prendre le cas d'une assurance responsabilité civile décennale : s'il y a une aggravation considérable du risque suite à un événement imprévisible, l'économie du contrat peut être bouleversée pour l'une des parties.

Toutefois, en vertu de l'article L113-2 du Code des assurances, l'assuré est tenu de déclarer, en cours d'exécution du contrat, toutes circonstances pouvant affecter le risque garanti au contrat ou en créer de nouveaux. Il dispose d'un délai de 15 jours pour en informer l'assureur. L'assureur dispose des mêmes sanctions que pour la mauvaise déclaration initiale des risques, en cas de survenance du sinistre :

  • La nullité du contrat (article L113-8 du Code des assurances),
  • L'application de la règle proportionnelle de primes après sinistre (article L113-9 du Code des assurances).

L'assureur semble déjà avoir des outils juridiques intéressants pour défendre ses intérêts en cas d'imprévision. Mais, le nouvel article 1195 du Code civil semble ouvrir de nouvelles perspectives :

  • L'assuré de bonne foi qui ignorait qu'un événement imprévisible puisse aggraver le risque assuré, ne peut se voir appliquer les sanctions prévues à l'article L113-8 du Code des assurances,
  • Une clause de déchéance ne peut se voir appliquer, elle sera considérée comme une clause abusive.


La consécration de la théorie de l'imprévision ouvre donc la voie à la renégociation contractuelle entre les parties durant l'existence du contrat, une bonne chose pour l'assuré souhaitant renégocier son contrat en cours d'existence. Cependant, cela peut aussi rendre la situation complexe et dissuader un assureur de ne pas recourir à cette règle.

Le mécanisme de la subrogation

L'ordonnance vient moderniser la subrogation légale en étendant son champ d'application de l'article 1346 Code civil « par le seul effet de la loi au profit de celui qui a un intérêt légitime ». De même, elle a maintenu la subrogation conventionnelle à l'article 1346-1 du Code civil.

Ce mécanisme de subrogation a donc été maintenu aux côtés de la subrogation spéciale (article L121-12 du Code des assurances). Ce mécanisme de subrogation légale et conventionnelle a été gardé sans pour autant l'avoir simplifié. Pourtant, l'avant-projet de réforme ambitionnait de supprimer le mécanisme conventionnel de la subrogation au profit d'un élargissement du domaine de la subrogation légale.

Cette réforme n'a pas permis de faciliter la subrogation (conventionnelle/légale) qui reste soumise aux mêmes conditions :

  • La preuve d'un paiement concomitant pour l'assureur dans une subrogation conventionnelle (ex : le paiement d'une indemnité à la suite de la survenance d'un sinistre),
  • La preuve d'une mobilisation de la garantie lors d'une subrogation légale.

Concrètement, toute personne qui paie la créance d'un tiers se doit d'être automatiquement subrogée dans ses droits. De fait, il n'y aurait plus besoin de démontrer que la garantie était mobilisable pour se prévaloir de cette subrogation. On peut estimer qu'il est possible de remplacer ce mécanisme par un autre qui soulève moins de difficultés pour l'assureur : la cessation de créance.