L’acquéreur d'un bien peut-il évincer un agent immobilier pour un autre ?

La Cour de cassation a rendu dernièrement un arrêt relatif à la responsabilité de l’acquéreur immobilier qui, au dernier moment, choisit de passer par un autre agent que celui ayant effectué les démarches pour son compte, lui faisant perde, de ce fait, son éventuelle commission.

achat de maison et changement d'agent immobilier, quelle responsabilité ?

Si les faits de l'affaire ne sont pas rares, la décision de la Cour de cassation, rendue le 6 avril 2016, est en revanche surprenante tant les attendus du plaignant semblaient, a priori, recevables.

En l'espèce un couple de particuliers avait mis sa maison en vente faisant appel à une agence immobilière afin de trouver un acquéreur. Pour ce faire les vendeurs avaient conclu un contrat d'exclusivité avec l'agence en question et souhaitaient vendre la maison à un prix de 460 000 €, auxquels il fallait ajouter 23 000 € de frais d'agence, soit un prix total de 483 000 €.


Après que la période d'exclusivité fut terminée, l'agence en question avait fait visiter le bien à un couple d'acheteurs potentiels. Ces derniers, intéressés par le bien avaient alors formulé une offre de 460 000 €, frais d'agence inclus, précisant que cette offre serait valable durant 6 jours.

Cependant, apprenant que d'autres personnes intéressées avaient formulé une offre plus intéressante, et craignant ainsi de perdre le bénéfice de la vente, les acheteurs s'étaient alors tournés, le lendemain de leur offre d'origine, vers une seconde agence afin de formuler une nouvelle offre. Cette dernière, d'un prix total de 475 000 € (mais avec des frais d'agence de seulement 8 000 €) avait alors été acceptée par les vendeurs.

En agissant ainsi la première agence, qui malgré qu'elle ait fait visiter le bien et géré les négociations, perdait ainsi sa commission sur la vente. Elle avait alors assigné les acheteurs en justice en indemnisation de son préjudice, c'est-à-dire en réclamation de la commission perdue.

Elle obtint tout d'abord gain de cause en première instance avant d'être déboutée en appel, elle forma alors un pourvoi en cassation, rejeté par la Cour. Les juges de la Haute juridiction ont en effet énoncé que « n'est pas fautif le fait, pour l'acquéreur non lié contractuellement à l'agent immobilier par l'intermédiaire duquel il a visité le bien, d'adresser une nouvelle offre d'achat aux vendeurs par l'intermédiaire d'un autre agent immobilier également mandaté par ces derniers ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'il était loisible [aux acheteurs], qu'aucun contrat ne liait au [plaignant] dont la clause d'exclusivité était expirée, de recourir, sans faute de leur part, à une autre agence immobilière pour proposer une nouvelle offre d'achat aux vendeurs ».


La Cour de cassation retient donc que le mandat d'exclusivité de l'agence étant expiré au moment de la visite, les acheteurs pouvaient se tourner vers un autre acteur du marché, réalisant ainsi un « saut d'agence », sans que cela ne constitue une faute, puisque aucun contrat ne les liait à l'agence.

L'agence entendait obtenir réparation de son préjudice au visa de l'article 1382 du Code civil. Ce dernier article, pour s'appliquer, nécessite que celui qui l'invoque démontre une faute de la personne à l'origine de son préjudice. Selon elle, le fait que les acheteurs n'aient pas attendu le délai de validité de l'offre, formée par son intermédiaire, après qu'elle ait effectué les visites et les négociations, constituait de facto une faute.

Pour la Cour de cassation il n'en est rien, l'agence n'étant pas liée contractuellement avec les acheteurs, le fait qu'ils fassent appel à une autre agence n'est pas un comportement fautif, ils ne peuvent donc pas être condamnés à indemniser cette dernière.

C'est donc peut être ici les prémices d'un nouveau principe qui nécessitera soit l'existence de manœuvres frauduleuses, soit celle de la rupture des termes d'un contrat, pour que la faute de l'acheteur soit reconnue et que soit ainsi limité son droit à faire jouer la concurrence.